Sayônara Onee-Sama par Julie F., alias Ruichan
"Mais Onee-sama, tu avais promis !!" lança Omocha avec dépit.
La jeune maiko adorait sa "grande sœur" Umekichi, une geisha accomplie qui lui avait enseigné tout son art afin de faire d'elle la prochaine coqueluche de Yumegawa, quartier des plaisirs de Kyôto.
Ce soit était un grand soir pour Omocha puisqu'elle devait divertir le jeune Tetsuo Hanazawa, fier descendant d'une lignée de samurai qui semblait s'être amouraché d'elle et avait fait une offre conséquente pour son mizu-age, évoquant même son intention de devenir son danna - son protecteur ou mari officieux.
Umekichi avait d'abord dit qu'elle l'accompagnerait pour que tout se passe pour le mieux. Mais, son propre danna était décédé un mois auparavant de manière subite et inattendue, et Umekichi ne pouvait désormais plus se permettre de refuser un engagement pour la soirée. Okaasan lui avait bien fait comprendre qu'elle ferait bien de trouver un nouveau danna au plus vite, tant qu'elle était encore assez jeune et belle pour espérer capturer le cœur et l'esprit d'un homme assez nanti pour l'entretenir, ou du moins payer ses kimono - l'essence de la geisha mais aussi sa plus grande source de dépense.
Umekichi aimait beaucoup Omocha mais une part d'elle lui en voulait un peu d'être dans une position si avantageuse qui ne lui rappelait que trop bien la précarité récente qu'elle connaissait. Dire qu'elle lui avait tout appris ! De plus, rare étaient les geishas qui avait "offert" leur virginité lors du mizu-age à un beau jeune homme qui leur plaisait et souhaitait rester leur compagnon par la suite... Toutes les geishas et maiko du quartier lui enviait plus ou moins ouvertement cette chance. Bien sûr Omocha n'aimait sans doute pas Hanazawa-san - du moins, si elle ne le détestait pas, elle ne semblait pas non plus en être amoureuse. Mais il ne lui déplaisait pas non plu et c'était bien plus que n'auraient pu dire la plupart des geishas qui avait dû découvrir les rencontres sur l'oreiller avec de vieux hommes influents et peu engageants.
C'est pourquoi Umekichi n'avait guère hésité lorsqu'on l'avait demandée dans une autre maison de thé le même soir. Et voilà qu'Omocha, pourtant si aguerrie déjà dans son art, faisait l'enfant ! Qu'à cela ne tienne, le temps était sans doute venu pour son ultime leçon. Le monde des geishas était comme une famille, composé de mères et de sœurs, mais il n'en était pas moins le lieu de concurrences féroces.
"Mais voyons Omocha, tu seras bientôt une geisha à part entière et nous deviendrons rivales. Il est temps que tu prennes soin de toi sans compter sur le soutien des autres. Et ne crois pas que je t'épargnerai parce que tu es ma "petite sœur". Qui sait, peut-être te rejoindrai-je dans la soirée. Mais dans ce cas, je pourrais tenter de m'attirer les faveurs de Hanazawa-san... Il est tout à fait charmant après tout, et il ne faut pas sous-estimer le charme d'une femme plus expérimentée sur un jeune homme tel que lui..."
Sur ces mots, elle se dirigea vers la sortie, laissant derrière elle Omocha incrédule mais qui commençait à abandonner la part d'enfance qui persistait encore en elle quelques minutes auparavant. Elle la voyait s'amenuiser peu à peu, s'éloigner dans l'allée avant de disparaître à un tournant dans les pans du kimono de la grande sœur qu'elle avait tant aimée...