La Geisha du Crépuscule par Grégory M., alias Wanko-kun
« Le moment venu, tu ne souhaiteras pas me revoir. Crois-moi… ». Pourquoi ?...
Voilà bien la question qui hantait le jeune guerrier, après cette étrange rencontre. Elle lui était apparue, soudainement, comme par magie. La Geisha du Crépuscule. Personne ne savait vraiment ce qu’elle était. A vrai dire, personne ne voulait en parler, même si tout le monde la connaissait, ce qui ne faisait qu’épaissir le mystère qui l’entourait.
Kunichiro venait de revenir de mission. Epuisé, il avait rapidement fait son rapport au chef des espions d’Heian Kyo avant de prendre congé. Après un long chemin, il arriva devant sa demeure, et il la vit. Assise près de la fontaine de son jardin, shamisen en mains, elle semblait l’attendre. Sa peau, fardée de blanc, brillait à la lumière de la lune. Ses yeux, cernés de noir, étaient insondables. Ses lèvres, rouge sang, cachaient un sourire complice. Après un long moment de contemplation, le jeune espion retrouva la parole : « Qui es-tu et que fais-tu chez moi ? ». « Ce que je suis n’a pas d’importance. Je suis ici pour soulager tes maux par ma musique. Veux-tu entendre une de mes compositions ? Elle restera à jamais graver dans ta mémoire. » Kunichiro ne savait trop quoi répondre. Il trouvait cette femme d’une telle impudence ! Seulement, il n’était pas donné à tout le monde d’obtenir les faveurs d’une geisha, surtout aussi belle. Surtout de sa propre initiative.
Sans attendre sa réponse, la mystérieuse apparition commença à jouer. Dès les premières notes, Kunichiro comprit qu’elle n’avait rien d’humain. Sa voix faisait résonner chaque parcelle de son corps. Douce et mélancolique, elle faisait naitre des images dans la tête du guerrier. Un arbre centenaire. Une princesse qui attend son futur époux, qui jamais ne revient. Les larmes montèrent à ses yeux sans qu’il essaie de les contenir. Il perdit la notion du temps et du lieu où il se trouvait et s’abandonna à ce chant divin. A cette musique emplie tout à la fois de joie et de colère, de douleur et d’amour.
Lorsque le silence revint enfin, il mit du temps à ce rendre compte qu’il était assis à ses côtés. Puis il comprit. C’était donc elle la Geisha du Crépuscule. Il aurait tellement aimé pouvoir lui dire à quel point il la trouvait belle et à quel point il avait été touché par ce moment de grâce, mais il en était incapable. Alors qu’il essayait de reprendre ses esprits, la sublime geisha se leva, très lentement. Elle posa son shamisen en équilibre sur la fontaine, le temps de lisser les plis de son kimono. Kunichiro pu alors constater que la tenue de son hôte était à son image : alternant couleurs vives et couleurs pastelles elle était somptueuse. Et étrange. Il était sur d’avoir vu les motifs en forme de papillon bouger lorsque la Geisha du Crépuscule les avaient touchés. L’énigmatique artiste reprit son instrument et fit quelque pas vers la sortie, passant devant Kunichiro. Paniqué, le jeune guerrier réussi à bredouiller : « Pourquoi es-tu venue ? Te reverrais-je un jour ? ». La Geisha du Crépuscule se retourna et lui répondit, son sourire énigmatique toujours au coin des lèvres : « Je te l’ai dit, je suis venue pour soulager tes maux. Même si tu ne sais pas encore de quoi je parle. Mais le moment venu, tu ne souhaiteras pas me revoir. Crois-moi… »
Un nuage obscurcit alors partiellement la lune. La Geisha du Crépuscule leva les yeux vers l’astre de nuit et tendit sa main libre vers le ciel. Un papillon de son kimono glissa le long de son corps et vint se poser sur son index dressé. Le nuage disparu et le papillon brilla d’une lueur intense. La lumière de celui-ci enveloppa progressivement la mystérieuse apparition qui sourit, franchement cette fois, à Kunichiro avant de disparaitre complètement.
De longues années passèrent avant que le jeune espion, devenu chef du contre-espionnage, ne comprenne les paroles de la Geisha du Crépuscule. Mais lorsque le moment fut venu, lorsque le papillon lui apparu de nouveau, il comprit. Et même s’il ne souhaitât effectivement pas la revoir à cet instant, son chant lui revint en mémoire, aussi nettement qu’au premier jour. Comme elle le lui avait dit…